Boire un café avec René Mathieu

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Boire un café avec… René Mathieu

C'est au Grand-Duché du Luxembourg, dans le cadre enchanteur du château de Bourglinster, où se trouve son restaurant La Distillerie, que nous avons rencontré René Mathieu. Un chef engagé qui nous invite à renouer le lien avec la nature et à prendre soin de nous par l'alimentation.

Il y a deux ans, vous avez décidé de passer à une cuisine 100 % végétale. Comment est née cette idée ?

« Nous avions déjà depuis douze ans une carte à 80 % végétale. Mais j'ai voulu aller plus loin en prolongeant ce constat : ce que nous mangeons doit nous faire du bien. J'ai remis le légume au centre des assiettes, en ne le considérant plus comme un accompagnement mais comme un plat à part entière et surtout en utilisant énormément les petites plantes pour apporter des saveurs plus complexes et plus riches. Cela demande de mettre en œuvre des techniques nouvelles afin d'explorer toutes les possibilités de chaque végétal. Il y a en effet beaucoup plus de diversité de goût dans les légumes que dans le poisson ou la viande. Les possibilités de cuisson et de conservation sont également plus nombreuses. C'est un formidable terrain de jeu à la fois sain et durable. »

Avons-nous selon vous perdu le sens de l’alimentation équilibrée ?

« En quelques décennies nous avons clairement perdu en diversité des cultures et nous avons grandement appauvri les sols. Les légumes que nous achetons n'ont rien à voir avec ceux que mangeaient nos ancêtres. Mon grand-père était garde-forestier et ma grand-mère herboriste. Ils m'ont transmis le respect du végétal et de la nature. Nous ne devons pas chercher à dompter la nature, sinon elle se rebelle. Mais on peut l'apprivoiser, la comprendre et vivre en harmonie avec elle. Je prends l'exemple des huiles solarisées que nous préparons. Nous mettons une plante dans une huile neutre, à la lumière, pendant 21 jours. Ce cycle va permettre de capter le principe actif de la plante et de l'utiliser, après l'avoir filtrée, sur les plats. Si on dépasse les 21 jours du cycle, d’autres éléments se mettent en action, on devra alors attendre 42 jours et on obtiendra une huile médicinale – qui peut servir à faire des baumes ou des crèmes mais plus pour l’alimentation. Comprendre ces principes, les suivre et les accepter, c'est ce qui nous permet de créer une cuisine bienfaisante. »

Devez-vous beaucoup expliquer cette démarche à vos clients ? Comprennent-ils facilement votre approche ?

« Avant toute chose, je ne cherche pas à imposer ma vision. Chacun est libre de manger ce qu'il souhaite. Le monde animal et le monde végétal ont besoin l'un de l'autre, je ne prône pas le zéro viande dans l'absolu. À la Distillerie, nous avons néanmoins fait le choix clair d'une autre proposition. Le menu est unique et tout le monde mange la même chose, au même rythme, y compris les enfants. Au moment de la réservation nous envoyons un mail qui explique notre philosophie, les clients ne sont donc pas surpris en arrivant. Je suis aussi présent en salle pendant tout le service pour expliquer et présenter les différents plats, les plantes et les végétaux qui les composent, les raisons qui nous ont amenés à choisir tel ou tel accord ou telle ou telle technique. Je veux toucher de façon sensible les gens qui viennent chez nous. La nourriture c'est la vie. Ils le ressentent et ils apprécient cette reconnexion ».

C'est finalement une sorte d'éducation au goût que vous proposez ?

« Nous devons en effet réapprendre ce que sont les plantes. Elles ont disparu de notre alimentation tout comme notre connaissance de la nature en général. Nous avons aussi selon moi perdu le sens de ce qu'est la saisonnalité. La saison ce n'est pas une affaire de calendrier mais de météo. Selon le temps qu'il fait, selon les températures, la pluviométrie, le vent, certains végétaux vont germer ou pas. Ce n'est jamais comparable d'une année à l'autre. Il faut donc suivre ces cycles et s'y adapter. Cela étant dit, l'expérience que nous proposons au restaurant est avant tout axée sur le plaisir et sur l’émotion. Nos clients repartent sans avoir eu l’impression d’être privés de quoi que ce soit, ils ont profité avec gourmandise de chaque plat. Je ne suis pas là pour faire la morale mais pour montrer qu'une autre voie est possible, plus naturelle et aussi plus humaine ».

La cueillette fait partie intégrante de votre philosophie, comment s'intègre-t-elle dans votre travail ?

« La cueillette est pour moi un moment privilégié de connexion avec le monde sauvage. Nous avons à portée de main une foule de plantes et d'herbes dont les bienfaits sont trop souvent ignorés. Mais on ne cueille pas n'importe comment. D'abord on ne prend que ce qui est présent en quantité suffisante, afin de respecter la biodiversité. Ensuite on doit choisir son lieu de cueillette, loin des habitations, pour éviter les pollutions diverses qui pourraient affecter les plantes, et plutôt aux abords des forêts, à la lisière. C'est là que s'épanouit la plus grande richesse végétale. Une fois par mois, nous emmenons des gens en cueillette, une vingtaine de personnes, le samedi et le dimanche matin. Nous nous asseyons ensuite ensemble et nous discutons des plantes que nous avons trouvées, des saveurs différentes de la tige ou de la feuille, des propriétés de chacune d'entre elles, de leur évolution au fil de la saison… Les plantes sauvages sont totalement à part, elles sont dans leur sol, dans leur élément, sans contrainte. Ce sont elles qui nous éduquent et redonnent un sens à notre lien avec la nature. »

Q&A

- Sa playlist : « Le chant des oiseaux dans les arbres de la forêt autour du château »
- Son café favori : « Le déca »
- Son endroit préféré pour boire un café ‘on the go’ : « En forêt »
- La personne avec qui il aimerait partager un café : « Sophie Marceau »

Originaire de Marche-en-Famenne, René Mathieu travaille au Luxembourg depuis près de 20 ans. Chef privé du Grand-Duc pendant quelques années, il a pris en main les cuisines du château de Bourglinster en 2006. Étoilé Michelin et détenteur d'un 18/20 au Gault & Millau, il a été nommé ‘Meilleur restaurant de légumes’ par le guide We're Smart World en 2020 et en 2021.